La bataille de Saffré - Le 28 juin 1944
André Perraud-Charmantier a donné un titre évocateur à son ouvrage écrit sitôt après les événements : Le Drame du Maquis de Saffré. Réfugié, il avait passé les derniers mois de la guerre à Nort-sur-Erdre, le temps de bien connaître ces femmes et ces hommes dont il avait longuement partagé le quotidien. Grâce à son ouvrage de nombreux documents sont parvenus jusqu’à nous.
Et il s’agit bien d’une situation dramatique que celle des 300 maquisards de la forêt de Saffré. Ils attendent des armes qui ne viendront que le lendemain le 29 dans la soirée, au moment où les prisonniers seront en train de se faire fusiller dans le parc d’un château une quarantaine de kilomètres du lieu de la bataille, une bataille qu’il ne pouvaient pas gagner : face à eux, armés et aguerris, 1500 soldats de la Wehrmacht, épaulés de collabos, accompagnés par la Gestapo, alors qu’eux-mêmes n’avaient qu’une soixantaine d’armes de petit calibre.
Lorsqu’ils arrivent, la veille au soir de l’attaque, les Jedburghs constatent que 250 maquisards (environ) ne sont absolument pas armés, et ils voient aussi un campement rudimentaire qui n’aurait dû servir que pendant quelques jours, le temps que les armes soient parachutées, vers le 20 juin (note : les « Jeds » sont des militaires confirmés qui sont parachutés par groupe de 3, en arrière du débarquement pour aider la résistance et la mettre en relation rapide avec Londres).
Or, ce 27 juin dans la soirée, c’est déjà bien tard … Le radio Jed Christian Lejeune envoie un appel en urgence à Londres ; il sera entendu puisque les avions arriveront le surlendemain … hélas ! Hélas, car entre temps les maquisards ont été logiquement vaincus. Le 27 au soir, lorsqu’ils rencontrent Félicien Glajean, le commandant militaire du camp, ils sont d’accord avec lui, ceux qui peuvent quitter ce campement surpeuplé dans de bonnes conditions de discrétion et de sécurité devront partir le lendemain. Une fois les armes parachutées et réparties, au plus vite, chacun reprendra sa place dans la lutte.
Mais les choses ne vont donc pas pouvoir se dérouler ainsi puisque le 28, vers 4 ou 5 heures, tôt le matin, alors que le soleil se lève à peine, le maquis est encerclé. L’ennemi dispose d’un imposant matériel de guerre : mausers, mitrailleuses, mitraillettes, fusils-mitrailleurs, grenades et quelques pièces de 37 ; il y a même des chiens policiers !
L’attaque aurait pu être encore plus meurtrière puisque la forêt de Saffré aurait dû être entièrement encerclée mais les soldats allemands chargés de la fermer par le nord ont pris plusieurs heures de retard sur leurs collègues chargés d’occuper la voie ferrée à l’est et ceux qui attaquent les premiers, au lever du jour, depuis Nort-sur-Erdre au sud et sud-ouest du campement. Alexandre Nerrière, du groupe des Touches, revenus 50 ans plus tard dans la forêt se remémore ces premières minutes de l’attaque.
Les maquisards : ceux qui sont armés se sacrifient pour permettre à leurs camarades de tenter une sortie. Maurice Dauvé, un autre Touchois évoque son camarade Louis Loizeil qu’il ne reverra plus.
Pour François Martin de Bouvron, Pierre Gaultier de Châteaubriant, ces premières minutes sont déterminantes et inquiétantes.
Mais rapidement ils sont vaincus, les prisonniers sont nombreux. Pris les armes à la main, ils sont emmenés vers une clairière, attachés, et ils assistent impuissants aux derniers moments de lutte de cette terrible journée qui laisse sur le terrain 13 de leurs camarades. L’un est abattu à bout portant, l’instituteur Auguste Guihéneux de Nort-sur-Erdre (41 ans), un autre est cyniquement achevé d’une balle dans la tête sous les yeux d’Eddy Warmington, un aviateur britannique fait prisonnier pendant l’attaque, le Nortais, Joseph Nauleau (29 ans). Un peu plus loin, face aux herbages des Gouvalous, un jeune Nazairien à bout de munitions est encerclé et tué sur place, Georges Chaumeil (18 ans).
A mi-chemin entre les villages du Pas-du-Houx et des Brées ce sont quatre gars de la Maison Rouge qui sont tués par des grenades tirées dans une bouillée d’ajoncs et de fougères, puis leurs corps sont écrasés par le poids lourd qui fait son demi-tour sur eux alors qu’ils sont agonisants : Baptiste Rabin (20 ans), Louis Loizeil (22 ans), Paul Orieux (21 ans) et Félix Guillet (22 ans). Tué à quelques pas de là, leur camarade Maurice Bourré, instituteur (30 ans), les rejoint dans la mort. Trois maquisards de Fay-de-Bretagne sont tués pendant l’attaque, deux cultivateurs et un cantonnier : Francis Renaud (22 ans), Jean Chatelier (23 ans) et Jean-Marie Coëdel (30 ans).
Le plus jeune résistant tué au moment de l’attaque, le Rougéen Robert Geffriaud n’a que 17 ans ; Robert Geffriaud laissera son nom dans l’histoire car il va demeurer pendant quatre ans le maquisard inconnu ; sa famille, qui le recherche assidûment, mais ne sait pas où ni quand il a pu disparaître, finira par demander l’exhumation de son corps en 1948. Identifié, elle acceptera qu’il soit inhumé dans le monument du pas-du-houx qui sera inauguré par le général De Gaulle deux ans plus tard. Le dernier tué de l’attaque, le coiffeur Albert Chauvin (24 ans), réfractaire au STO, était caché au village du Pas-du-Houx depuis plusieurs mois. Le responsable du groupe de Saint-Philbert de Grandlieu, au sud de Nantes, le Pierre Hervé évoque ces moments et le rôle des agriculteurs pour aider les maquisards.
Les agriculteurs des villages des Brées et du Pas-du-Houx ayant hébergé des réfractaires, et ayant été trahi, sont dans le collimateur de la Gestapo. N’ayant pu se saisir d’eux aux Brées, les Nazis décident de piller leurs biens puis d’incendier tout le hameau. Au Pas-du-Houx, qu’ils pillent également, ils tiennent au bout de leurs fusils les famille Dousset et Fourny, menacent Madame veuve Fourny devant ses enfants et se saisissent de son fils qui sera jugé le lendemain à la Bouvardière (mis en sursis d’instruction il mourra en déportation) ; la famille voisine subit les mêmes violences, le grand-père, Etienne Dousset, est même roué de coups et son petit-fils, également prénommé Etienne (17 ans), est emmené en déportation où il mourra durant l’hiver suivant. Un demi-siècle après les «Femmes du Pas-du-Houx» évoquent cette terrible matinée de juin 44.
Le village du Pas-du-Houx est donc très durement touché pendant ces heures dramatiques puisque les deux réfractaires au STO que cachaient courageusement les familles Fourny et Dousset sont tués, l’un lors de l’attaque (Albert Chauvin) et l’autre fusillé le lendemain à la Bouvardière, le boulanger Jean Rigollet. A ce propos, dans son ouvrage A. Perraud-Charmantier note cette anecdote tragique : pendant l’attaque Albert Chauvin est gravement blessé ; le voyant blessé incapable de se déplacer, Jean Rigollet ne veut pas l’abandonner : « … et avec lequel il était camouflé comme travailleur, l’un à la ferme Dousset depuis 1943, l’autre à la ferme Fourny depuis février 1944, lui apporta tous les soins qu’il pouvait dans leur refuge, le fossé d’une pièce du Pas-du-Houx … ». Et l’auteur d’ajouter que quand Chauvin voit arriver l’ennemi, il le supplie de partir, mais Rigollet refuse : «Tu sais bien qu’entre nous c’est à la vie à la mort … ». Et A Perraud-Charmantier précise encore que « Rigollet vit son vieil ami achevé par les Fritz à coups de bottes et de crosses ».
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Le Maquis de Saffré - du 16 au 28 juin 44
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